Torsions drapées, prieuses en bois, cocons veinés

Artiste ensorcelé par la forêt, Marc Nucera souhaite investir à pas de loup l’abbaye Saint-André, dans un souffle. L’exposition De Mémoire d’arbre va vibrer à l’unisson avec les espaces monastiques. Torsions et colonnes, prieuses, bas-reliefs, l’âme de la forêt se révèle avec exaltation sous les mains de ce sculpteur en arbre. Derrière la douceur des courbes et la sensualité de la matière à fleur de bois, transparait le bouillonnement de la genèse à peine figée.

Après avoir fait revivre ramures et fûts, Marc Nucera se glisse ici au cœur du bois qui se fait chair scarifiée, drapés, matière organique ajourée, poinçonnée. Épousant des verticalités démesurées qui montent au ciel alors qu’au sol s’alignent des bois lovés en galets polis prêts à éclore. A l’orée des bois, ses sculptures anthropomorphes tout en rondeur veillent sur les lieux, guettent les présages et les visiteurs.

L’artiste travaille per via de levare avec de multiples tronçonneuses et même si le geste requiert force et détermination parfois à la limite de la raison, Marc Nucera le vit comme un acte sensible, à l’écoute de la matière, qu’il découpe, évide selon son sens, respecte son énergie, en exhale la vitalité, en exhume sa mémoire séculaire, son parcours de vie d’arbre avant d’être bois.

Retranscrire l’élan du sauvage
Depuis 35 ans, Marc Nucera sculpte les arbres. Après avoir longtemps structuré le végétal et inscrit les jardins dans les paysages, il a pratiqué le land art en sculptant des troncs pour sublimer leur essence. Des œuvres qui désormais atteignent le cœur de l’arbre afin d’en retranscrire son intimité intemporelle. Acquérant ainsi le pouvoir « de participer à un lieu, de faire partie ici de l’abbaye Saint-André, c’est le propre de la qualité du bois qui assoit l’espace et n’engendre aucune perturbation », scande cet artiste natif de la région.
Réanimer les cyprès centenaires, réenchanter cette matière dont Marc Nucera ne se lasse jamais, chaque fût ayant son identité propre, une longue et riche vie.
Une fois coupé en tronçons reste ce que l’artiste nomme : « le cœur de la matière », ce qui palpite, frémit, respire encore. Nucera en est convaincu : « un arbre mort est toujours chargé de vie, il garde son identité ». Et c’est ce noyau indestructible qu’avec fièvre, l’artiste cherche à« réanimer ». L’« archive », à partir de laquelle la forme advient, selon lui : « La personnalité de l’arbre dessine la sculpture à venir ».

Une naissance en 3 temps et l’unicité du tronc
Marc Nucera procède toujours de la même manière selon trois étapes. Premièrement extraire une identité du fût : cocon, torsion, colonne drapée, prieuse. Sur cette silhouette, s’ensuit le travail de recouvrement qui se fait par inscription. Animer la matière, vivifier une dynamique, ciseler l’entaille sur la veine du bois, à l’accroche de la lumière et sa rediffusion. En résulte alors une vibration sans contour défini. Et enfin l’acte de révéler une substance, commence alors, toujours à la tronçonneuse (plus aucune brosse métallique), un travail minutieux sur la fibre afin d’obtenir un effet de surface, une trame, une onctuosité que Marc Nucera appelle « peau ».

Un corps à corps avec la matière
Chaque arbre est observé, comme on jauge un partenaire de danse. Puis à l’écoute de l’autre débute une improvisation permanente selon une gestuelle qui fait corps avec l’arbre pour atteindre l’harmonie, l’équilibre où se lit la vie de l’arbre. Avec ses imperfections, ses blessures, et pour l’artiste l’irrémédiabilité de la sculpture per via di levare où le retour en arrière n’est pas possible. « Chaque sculpture est une étude, une recherche, un mémoire d’arbre » explique comme une évidence Marc Nucera.

En contrepoint, une très belle série d’esquisses accompagnée des mots de l’artiste ouvrent l’exposition et racontent, elles aussi, ce geste, ce corps à corps avec l’arbre. Contrairement à ce que l’on pourrait croire elles ne sont pas des études préparatoires mais un développement du geste, afin d’en intérioriser tous les rouages. Un travail de répétition tel que l’éprouve un musicien afin d’en approcher la justesse et la fluidité et d’oser ensuite la fulgurance.

Du paysage à l’intériorité de l’atelier
Né dans les Bouches-du-Rhône, à Noves, petite ville qu’il a quittée un temps pour mieux y revenir, Nucera poursuit, à sa façon, une histoire de famille. Son père, ébéniste, travaillait le bois avec une extrême minutie puisqu’il s’était spécialisé dans la marqueterie. Capable de reproduire à l’identique une table de jeu du XVIIe siècle ou un cabinet du XVIIIe siècle il parvenait à tromper les plus grands experts. Le fils, à contrario, a choisi de magnifier la matière brute, d’en extraire la part magique. Et, comme ultime provocation, de prendre pour signature le cube et les deux losanges, emblème de la marqueterie. A l’inverse de son géniteur, Nucera n’imaginait pas rester enfermé toute la journée dans un atelier. Dès 18 ans, il s’inscrit à l’Ecole du paysage à Carpentras où il se spécialise dans la taille des grands arbres. Capable de grimper à 50 mètres sans avoir le vertige, il apprend les secrets de la taille douce, une méthode tout juste importée d’Angleterre, et en devient à 23 ans, le meilleur spécialiste en France. Les grandes métropoles de la Côte d’Azur le sollicitent. Mais il refuse de se voir enchaîner à un même endroit, et ne s’imagine pas devenir fonctionnaire pour les jardins publics. Il a d’autres visées : parallèlement à son métier de tailleur d’arbres, il commence déjà à produire des pièces de bois aux formes géométriques. Des formats carrés et solides tirés de ce fameux cœur de l’arbre.
Désormais ce travail d’atelier occupe tout son temps alors que la réflexion sur le paysage se restreint à son jardin des Alpilles. C’est une neutralité de fond dans lequel ses créations peuvent s’épanouir librement et se faire entendre que Marc Nucera favorise aujourd’hui, loin de la dynamique d’un paysage ou d’un jardin en perpétuel mouvement. Avis à ses nombreux collectionneurs privés ou publics.

Plus d’infos sur : https://marc-nucera.fr/, page Instagram https://www.instagram.com/marcnucera/

Vidéo : A Fleur de bois de François Manceaux https://vimeo.com/398506990

Une monographie, qui reprend ses chefs d’œuvre de bois de façon chronologique et ainsi nous fait comprendre ses différentes approches dans le temps, est parue aux Editions Actes Sud en mai 2020.

A noter : présence de l’artiste lors des Rendez-Vous aux Jardins 3 & 4 juin à l’abbaye Saint-André.