Peinture, dessins, photographies et vidéos

Le monde du végétal et du minéral comme curseur du temps. Depuis près de trente ans, Lilian Euzéby raconte le lien qu’entretient le paysage avec le temps qui passe. Le temps long, celui des géologues, comme le temps intime, celui de nos mythologies intérieures. Une belle ramure propice à une douce sieste ? Pas forcément, les feuilles des arbres, vues par le dessous, peuvent ressembler à des îlots enveloppés par une eau céleste. Des paysages, presque sages, déroutent par leurs labyrinthes étranges où le présent, l’avenir et le passé se superposent et se confondent. Des cartes à la topographie précise nous offrent de nouveaux territoires à explorer. Cet artiste méridional livre à l’abbaye Saint-André une cosmographie personnelle où se mêlent peintures de grands formats, dessins sur papier, photographies, installation et vidéos… dans laquelle le visiteur va pouvoir cheminer depuis les galeries en rez-de jardin jusqu’au voûtes extérieures en passant par le Jardin remarquable ; où il pourra à son tour jouir d’une sieste à l’ombre des arbres de nos jardins.

Mur de Siestes & Paysages de cailloux

Les œuvres de Lilian Euzéby se doivent d’être envisagées comme lorsqu’on regarde au-dessus d’une rivière, on y voit d’abord l’eau, puis le reflet des arbres. En observant un peu plus attentivement on distingue le fond de la rivière, les cailloux, les algues ondulantes. On perçoit alors un peu de sa profondeur, on commence à comprendre et puis on est ébloui par le reflet du ciel infini.

 

 

 

 

Les Siestes s’admirent au pluriel, recouvrant un mur entier, comme autant de fenêtres, du zoom au grand angle, faisant partie d’un tout qui peut donner le vertige. Cette série de peintures, commencée en 2005, se poursuit encore. Ces peintures décrivent l’ultime vision dont jouit le futur dormeur avant son assoupissement sous un arbre. Les feuilles ressemblent à un labyrinthe d’îles et d’archipels. Le ciel (la mer) semble recouvrir subtilement les feuilles. Le visiteur pourra ensuite se faire explorateur et deviner certaines œuvres dissimulées dans la végétation réelle des jardins de l’abbaye, peut-être après s’être laissé aller lui-même à une sieste ou rêverie à l’ombre des arbres centenaires.

Les Paysages de cailloux surgissent de ses acryliques sur toiles tels des totems mystérieux, polis par les éléments, dont on imagine la source, la mer retirées. On appréhende ici le goût pour le sacré de Lilian Euzéby, sa recherche de l’infini, de l’absolu que peuvent contenir de simples galets. A y regarder de plus près, comme il faut toujours le faire avec le travail de ce miniaturiste, sa topographie poétique commence déjà là, au pied de ces cairns. Au centre des questionnements de l’artiste, l’eau, qu’elle soit stagnante, calme ou agitée, est l’une des clefs de ces paysages. Et aux yeux de Lilian Euzéby, le ciel et les étoiles en sont un reflet évident.

Les topographies intimes et l’écrit comme bannière

L’artiste convoque aussi le temps. Le spectateur curieux pourra ainsi se perdre dans un parcours étrange, mélancolique parfois, construit sur des paysages déroutants et métaphysiques où le présent, le futur et le passé se diluent en strates et scories.
Comme le décrit avec acuité l’artiste et co-écrivain Marc Weeger, « l’œuvre de Lilian Euzéby est peuplée de cartes. Cartes du ciel, de cours d’eau, d’îles grecques réelles ou imaginaires. (…) Lilian Euzéby pose, tout autour de lui, une multitude de petits cailloux blancs pour ne pas se perdre, pour trouver ou retrouver un chemin. Car on fait aussi des cartes pour voyager, aller plus loin, repousser les limites de nos horizons. Ceux de L.E. sont à géométrie variable, allant de la géographie intime des gorges du Gardon de son enfance à l’infini des constellations. Il cartographie également l’histoire de l’art quand il précipite, comme un chimiste, l’essence d’un paysagiste flamand du XVIIe siècle dans un galet » Il aime aussi explorer les théories imaginaires, souvent plus fascinantes qu’une idée de la vérité. Les pas du visiteur curieux le mèneront jusqu’au voûtes de l’abbaye où des grosses pierres irisées de noir forment une installation intrigante. Se délectant de problématiques insolites, il propose à sa manière des principes poétiques rejoignant certaines conceptions scientifiques ou philosophiques.
Enfin, Lilian Euzéby nous livre un dernier indice, parmi tant d’autres. « Ma peinture sur les réseaux sociaux ne vaut rien. Il faut s’en approcher pour y deviner ce qui est inscrit », revendique cet amoureux des mots, iconoclaste des écrans omniprésents. Traquer les légendes, les inscriptions subtiles, comme autant d’épigraphes, de pistes pour décoder une œuvre qui se veut accostable. « Les mots sur ma peinture ont une proximité avec celui qui regarde. Ils procurent immédiatement une intimité et parviennent à situer une idée, un jalon dans l’informe. Chacun s’y retrouve selon son intuition, son instinct, ses connaissances et sa mémoire. » précise-t-il

Variations au fil du Gardon…

Né en 1973, sur les bords de Marne, Lilian Euzéby revient aux sources, sur les rives du Gardon, entre Nîmes et Uzès, dès l’âge de 2 ans. Il revendique avec ardeur ses amarres familiales pour mieux s’en détacher. Féru de littérature, boulimique de textes et autres patronymes, cet artiste vibre à la lecture des mots, pense poésie, dévore, sur le tard, volumes et autres belles-lettres et s’enivre du vin de son terroir. Ce gardois tout en verve entretient depuis plus de trente ans avec l’art un lien très intime en tant que créateur mais aussi en tant qu’accoucheur dans sa maison/atelier de Russan dans les gorges du Gardon. Chaque été un accrochage pointu anime la « maison Euzéby ». Un passage en histoire de l’art à Toulouse, et après des essais de grands formats, dès l’âge de 16 ans, Lilian s’attèle vraiment à la création dans son atelier audois dans les années 1990. Aujourd’hui, il vit entre Paris et Russan, planchant sur une nouvelle exposition (la dernière s’est tenue à la villa Balthazar à Valence avec son ami Rudy Ricciotti) ou la création d’une installation originale pour le restaurant triplement étoilé de Pierre Gagnaire. Toujours exigeante, son œuvre raconte la matière, il suffit de suivre ses jus de couleurs complexes, ses graffitis délicats. Il y invite le temps, l’espace. Il y enfouit ses pépites littéraires, ses réflexions, pied-de-nez de cet autodidacte « érudit » qui connait la peinture et son histoire. A contrario, son approche de l’art reste charnelle, sans ambages, offrant nombreuses portes d’entrée. « Je préfère toujours et encore la notion de Nature à celle de Culture. Et ça depuis mes plus anciennes veilles d’enfant solitaire », avoue cet artiste qui a aussi bien côtoyé le monde ouvrier que les grands espaces : méandres et grottes du Gardon.

Plus d’infos sur https://euzeby.wordpress.com